Camille Polloni – MEDIAPART – 26 octobre 2022 à 09h14

Dans des vidéos diffusées sur Telegram, Jonathan D. avait menacé de commettre « une dinguerie » à la mosquée de Lille-Sud et de « tuer » des fidèles. Mardi 25 octobre, il a été condamné pour apologie du terrorisme et menaces de mort.

Jonathan D. a renoncé à se défendre. Arrivé libre au tribunal correctionnel de Lille, mardi 25 octobre, il est parti en prison le soir même.

Pour ce petit brun maigrelet de 23 ans, né dans le Pas-de-Calais, l’audience n’a ni bien commencé ni bien fini. Il était jugé pour « apologie du terrorisme » par voie électronique et « menaces de mort » contre les fidèles de la mosquée Al-Imane de Lille, des faits passibles de sept ans de prison ferme.

Moulé dans un pantalon de jogging, Jonathan D. se présente à la barre sans son avocate, qu’il a congédiée, et annonce qu’il gardera le silence. « Vous risquez plusieurs années de prison » lui rappelle avec surprise le président de l’audience correctionnelle, Ludovic Duprey. Le prévenu se compose l’air buté de celui qui n’entend pas participer à son propre procès.

Le 20 juin dernier au matin, dans le groupe Telegram « Bavardage 18-25 », Jonathan D. partage une vidéo de la tuerie de Christchurch (Nouvelle-Zélande), qui a fait cinquante et un morts en mars 2019. Il qualifie cet attentat islamophobe de « pur bonheur »

Le même jour, il tourne de courtes vidéos rue de Marquillies à Lille, en face de la mosquée Al-Imane. Il promet de « commettre une dinguerie » et de « tuer ces fils de pute » dès qu’il se sera procuré une arme. « C’est une petite mosquée mais le vendredi il y a du monde, précise Jonathan D., il y a moyen de tuer une bonne vingtaine de personnes […] Je vais voir s’il n’y a pas de musulmans devant ou quoi. Par Allah je vais tous les tuer. J’ai jamais été aussi déter [déterminé – ndlr] ».   

Un internaute signale ces contenus à la plateforme Pharos et la police judiciaire commence aussitôt son enquête. Elle déboule à l’aube du 23 juin, dans un studio insalubre de Faches-Thumesnil dont Jonathan D. a arrêté de payer le loyer depuis deux ans. Dans un tweet, Gérald Darmanin félicite les forces de l’ordre pour leur « réactivité »

Gamineries et islamophobie

En garde à vue, le jeune homme se déclare « athée » et dément toute motivation idéologique. L’esprit échauffé par les conversations virtuelles, il voulait juste « troller ». « Je n’ai aucune haine contre aucune religion » précise-t-il encore un mois plus tard, lors d’une première audience. Il met ses menaces sur le compte de l’alcool : il descend une bouteille de vodka par jour.

Pourtant, l’exploitation de son téléphone autorise le doute. Jonathan D., qui fréquente assidûment le site d’extrême droite Fdesouche, est membre d’un groupe Telegram qui s’intitule « Mémoire du Reich ». « Monsieur a des centres d’intérêt particuliers », résume le président. « Il dit que pour lui ce sont des sites d’actualité et qu’il se tient informé. » Dans son téléphone, les enquêteurs retrouvent aussi des gifs animés mettant en scène « quelqu’un qui s’essuie les fesses avec un coran » et « un coran incendié dans une poubelle ».

Au cours de l’enquête, ses déclarations sont équivoques. À travers ses vidéos, Jonathan D. dit avoir voulu « énerver les internautes du groupe » qui avaient diffusé sa photo et proféré des menaces, après qu’il avait critiqué le mariage du prophète Mohamed avec une enfant de 9 ans. Dans son téléphone, les enquêteurs retrouvent également la photo d’une petite fille vêtue d’un tee-shirt « le prophète a déjà profité de moi ».

Quelques mois avant les menaces filmées de Jonathan D., la mosquée de Lille-Sud a été taguée de l’inscription « Allah est un violeur ». Devant sa communauté  virtuelle, Jonathan D. s’est vanté d’en être l’auteur. Avant de démentir devant la police, qui n’avait pas suffisamment d’éléments pour la lui attribuer.   

Des doutes sur son état psychiatrique  

Un examen médical rapide de Jonathan D., lors de sa garde à vue, a écarté toute altération de son discernement. Mais les juges ont estimé que la question méritait d’être creusée. À deux reprises déjà, son procès a été renvoyé dans l’attente d’une expertise psychiatrique qui n’est jamais venue. Cette fois, c’est le prévenu qui ne s’est pas présenté à la convocation. Il dit ne pas l’avoir reçue. Le tribunal s’en passera. 

Après deux mois de détention provisoire, le maximum autorisé dans son cas, Jonathan D. a été placé sous contrôle judiciaire le 19 août. Ce jour-là, il était parti en remerciant le président du tribunal, après avoir répondu « d’accord » à toutes les injonctions : éviter le secteur de la mosquée, entamer un suivi psychologique, pointer chaque semaine à la gendarmerie, honorer les convocations… Deux mois plus tard, il a raté la plupart de ses rendez-vous et n’a pas consulté.  

Benjamin d’une fratrie de quatre enfants, Jonathan D. a connu dès l’enfance des difficultés d’apprentissage et de comportement. Il a arrêté la scolarité ordinaire en sixième, connu l’École de la deuxième chance, un suivi éducatif et des séjours de rupture. Après quelques petits boulots dans le nettoyage, il a arrêté. Sans domicile fixe aujourd’hui, il n’a plus de contact avec sa fille de 4 ans. 

Avant ce procès, il a déjà été condamné à trois reprises pour voyage sans titre de transport (en 2018), atteinte à l’intimité de la vie privée et usage de stupéfiants (2021). Mercredi 26 octobre, il doit comparaître devant le tribunal correctionnel de Dunkerque pour des violences avec armes ayant entraîné une ITT (incapacité totale de travail) supérieure à huit jours.  

« À votre place, je me ferais tout petit » 

Jéromine Armand, l’avocate de la Grande Mosquée de Lille, qui s’est constituée partie civile, rappelle que l’édifice religieux s’est vu attribuer une protection policière renforcée après les faits. Les dirigeants comme les fidèles « vivent toujours dans la crainte », affirme-t-elle, demandant 5 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice moral. L’avocate regrette les excuses « faciles » du prévenu, au profil « relativement inquiétant »,  et son incapacité à s’expliquer.

Lorsqu’il sort de sa réserve, Jonathan D. ne se montre pas très convaincant. À quelques minutes d’intervalle, il assume d’avoir refusé une formation rémunérée 600 euros par mois, parce qu’il pourrait « trouver mieux » en intérim, puis reconnaît ne pas chercher de travail malgré ses dettes et sa grande précarité. « Là par exemple, vous allez dormir où ce soir ? » lui demande le président. « Je sais pas, chez des amis. » L’avocate de la partie civile lui reproche de ne pas vouloir les nommer. « Vous croyez que je fréquente qui, des terroristes ? » s’agace le prévenu. 

La procureure, Anne-Laure Le Galloudec, finit par perdre son calme devant cette « arrogance terrible ». « Vous arrivez comme ça, les mains dans les poches ; à votre place je me ferais tout petit. » Elle requiert seize mois de prison, divisés en deux : huit mois fermes aménageables par un juge d’application des peines et huit mois de sursis probatoire pendant deux ans. En guise de plaidoirie de la défense, Jonathan D. se borne à refuser le travail d’intérêt général proposé. 

Le tribunal le condamne à huit mois de prison avec mandat de dépôt et un suivi socio-judiciaire de trois ans. À sa sortie de détention, il aura l’obligation de se soigner, de travailler, de fixer sa résidence et d’indemniser les parties civiles, sans pouvoir se rendre à proximité de la mosquée.