Publié sur la Voix du nord, le 13 juillet 2024

Par Stéphane Leulier

Elle voulait avoir un enfant et a failli en mourir : Sophie et Thomas, ou l’histoire d’une résilience

Elle est de Lens, il est de Béthune. Comme tant d’autres couples, ils ont eu recours à la procréation médicalement assistée (PMA) pour devenir parents. Mais, suite à une ponction ovarienne, Sophie est passée à deux doigts de la mort. Amputée des jambes et de six phalanges, elle témoigne.

Les mots prennent leur temps. Après une pause d’à peine quelques secondes qui paraissent une petite éternité, la bouche de Me Alexandre Demeyere-Honoré, spécialiste de ce type de cas, se détend. « Quelle résilience… » Sophie a 26 ans, Thomas, 28 ans. Elle vient de Lens. Il est de Béthune. Ils s’aiment. Ils ont emménagé il y a trois ans dans une maison, à Douvrin. Un choix de praticité : ils travaillent tous deux, comptables, sur Lille. Comme tant d’autres, ils ont rêvé leur cocon, réalisé des travaux qui ont rendu les lieux, leur chez-eux, méconnaissables. Il y a trois ans, ils ont voulu devenir parents. « Un an après, explique pudiquement Thomas, on s’est rendu compte que c’était compliqué. » Problème d’infertilité. « On a commencé des procédures de procréation médicalement assistée milieu 2022. Le temps de faire les examens, cela a vraiment commencé en septembre 2023. »

Cauchemar

Fin du mois de janvier 2024, Sophie commence la stimulation ovarienne. Une ponction a lieu le vendredi 9 février. La spirale de l’horreur commence alors (lire par ailleurs). Dans la nuit qui suit, Sophie commence à ressentir de vives douleurs au ventre. Le samedi matin, Thomas appelle la gynécologue, qui revoit le traitement qu’elle lui a prescrit. Malgré cela, l’état de Sophie empire d’heure en heure. De grosses rougeurs apparaissent sur son ventre. Dimanche, au petit matin, Sophie, pliée en deux, ne peut plus marcher. Vers 6 h 30, le couple arrive aux urgences du CH Lens. À 16 heures, elle intègre le service réanimation. Le foie, les reins, le cœur sont touchés. « Tous les organes commençaient à fatiguer… », soupire-t-elle. En fin d’après-midi Sophie est intubée et placée dans le coma. « On nous dit que c’est très très grave », dit Thomas.

Série d’opérations et d’interrogations

Sa voix ne flanche pas. Il évoque la première opération, le lundi. « C’était quitte ou double. » Le ventre de Sophie est ouvert sur 25 cm. Les médecins trouvent du sang, du pus. « Mais rien d’extraordinaire, détaille le jeune homme. Ils ne savaient toujours pas si elle allait s’en sortir. C’était atroce. Trois jours horribles. » Le poids de sa compagne est passé de 68 à 98 kg. Son état tend à se stabiliser au fil des heures et des jours. Mais la nécrose a fait son apparition. Si les extrémités de ses doigts noircissent, ce sont ses pieds et ses orteils qui inquiètent le plus.

Amputée dans le coma

Le 21 février, la veille d’être transférée à l’hôpital Roger-Salengro de Lille, Sophie doit de nouveau être opérée en urgence. « La pire nuit. J’ai coupé mon téléphone. Je ne voulais pas savoir », confie Thomas, poussé dans ses retranchements par une situation qui dépasse l’entendement. Au petit matin, il découvre, soulagé, que l’opération s’est bien passée. Sophie peut être transportée à Lille.

Trois jours après son arrivée à l’hôpital Roger-Salengro, la jeune femme est amputée des deux jambes. Toujours dans le coma, elle ne s’en rend pas compte. « On pensait que ça n’allait être que les pieds. Mais pour l’appareiller, ils ont préféré amputer plus haut. C’était urgent pour ne pas que l’infection ne se propage davantage », explique Thomas. Pour ses mains, les médecins font tout pour donner une chance aux tissus de se reformer. Elle sera finalement amputée de six phalanges, le 14 mars, un pouce étant reconstitué. À son réveil, elle découvre progressivement son état. Un suivi psychologique est mis en place.

Témoigner pour les autres

Admise au centre de rééducation de Oignies, elle regagne son domicile le soir depuis quelques jours. Battante, étonnante, volontaire, courageuse… En un mois, Sophie stupéfie son entourage et les spécialistes en sachant marcher avec ses prothèses. « L’envie de ne plus dépendre des autres », glisse-t-elle comme seule explication. Elle aspire à « retrouver une vie où je travaille. Mais je n’ai pas encore récupéré la force, la sensibilité des mains… » Si elle témoigne, aujourd’hui, c’est « pour éviter à d’autres femmes de passer par là… » Et comprendre comment tout cela a pu lui arriver. Quant à leur rêve de fonder une famille… «On avait le projet d’avoir un enfant, dit simplement Thomas. Il est repoussé…»

Une cagnotte et un suivi sur les réseaux sociaux

Au début du calvaire du couple, les collègues de Thomas ont eu l’idée de mettre en place une cagnotte. « Il y a tellement de choses à acheter, à aménager dans la maison… », explique Thomas. Si les prothèses des jambes sont remboursées, ce n’est pas le cas des prothèses au niveau des mains, extrêmement coûteuses. Quant à l’aménagement de leur domicile, que Sophie a récemment regagné… « Ils sont assurés pour les accidents de la vie, explique leur avocat, Me Alexandre Demeyere-Honoré, qui les conseille sans attaquer, aujourd’hui, le CH Lens. Aujourd’hui, leur assurance considère pourtant que ce qui leur est arrivé n’est pas un accident de la vie, ce qui est très discutable… De fait, leur assurance refuse de prendre en charge des travaux d’aménagements de la maison. »

Le couple attend le premier chiffrage de ces travaux. En attendant, un lit médicalisé a été aménagé au rez-de-chaussée, dans leur salon. « Il faut voir par rapport au fauteuil, explique Thomas. Elle ne sera pas tout le temps dedans mais la maison doit être aménagée par rapport à ça. »

Des actions pour les dons

Pour suivre les progrès de Sophie et ce à quoi vont servir les dons, une page Facebook et Instagram ont été lancées le 11 avril. Leur nom ? Le Combat de Sophie. Le dessin, lumineux, qui représente la jeune femme a été réalisé par un collègue de Thomas. Près de 1 000 personnes suivent Sophie sur Facebook, le double sur Instagram. Des actions se mettent en place pour aider la jeune femme. La prochaine ? Un marché aux puces, les 10 et 11 août à Douvrin. Cagnotte : sur leetchi, taper « Aidons Sophie contre cette injustice »

Infectée par un streptocoque

Qu’est-ce qui a causé l’état de Sophie ? Dans le compte-rendu du CH Lens, son compagnon, Thomas, lit le mot streptocoque. Cette bactérie peut se transmettre d’une personne à l’autre, principalement par contact direct avec une personne porteuse de la bactérie ou avec les sécrétions de son nez, de sa gorge ou de sa plaie, ou avec des objets contaminés par ces sécrétions. Le streptocoque est responsable de nombreuses infections bénignes (angine, impétigo) mais peut également être responsable d’infections invasives parfois mortelles (syndrome de choc toxique, fasciite nécrosante).

Pour Sophie, il s’agit « d’un choc toxique dû à la bactérie et à l’hyperstimulation, qui a servi de rôle de catalyseur », résume Thomas. Le couple se pose la question de savoir si Sophie a été contaminée – la bactérie pouvant être dormante – et si oui, comment.